ORANGYORK :

Il en est des artistes comme des voyageurs… et des créations comme des voyages !

En fin de compte, toute exposition ou création, qu’elle soit graphique, écrite ou ambassadrice de n’importe quelle discipline artistique, est toujours le résultat d’une rencontre entre un voyageur et sa destination. Que le trajet ait été spirituel, comme celui de Proust vers ses madeleines, ou physique tel celui de Yann Artus Bertrand captant la terre comme il la voit depuis le ciel… à un moment ou à un autre, le souvenir interviendra toujours ! Soit qu’il mène le voyageur vers la mémoire soit que le voyage rappelle à lui le souvenir, qu’importe puisque cette alchimie étrange se transmet fatalement au spectateur, dès lors qu’il pose le regard sur une œuvre. Il décide donc, en une fraction de seconde, d’instaurer le partage avec l’artiste. Que ce soit en photographie, en peinture, au cinéma ou au théâtre… le spectacle que voient les yeux se transformera obligatoirement en voyage dont les étapes seront l’esprit, le cœur, l’instinct… C’est une relation, finalement inexplicable, entre l’artiste et celui qui découvre son travail !

Lors d’une exposition photographique, cette rencontre se fait immobile, silencieuse en apparence. Le spectateur est statique face à l’œuvre, mais le départ est immédiat. Soit il n’est pas interpellé et passe son chemin, soit il accepte de se laisser embarquer sur le quai des rêves, pour prendre son envol et aller réellement à la rencontre de l’œuvre !

Christian Lange, né au pays du surréalisme et vivant à Saint Barthélemy, n’a pas oublié la valise de sa « Belgitude artistique » sur le quai du premier de ses voyages ! Il l’a baladée partout au fil de ses pérégrinations et c’est sans doute lors de son séjour à New York en 2012, que les pipes et les fantomatiques chapeaux de Magritte… ou encore les bulles oranges du Pop Art d’Andy Warhol, mais aussi quelques pages de Paul Eluard, se sont mis à trembler et vibrer, à revivre peut-être, au fond de sa boîte à souvenirs et à sensations ! La rencontre entre la « Grande Pomme » et les échos de René Magritte, qui en peignit une fameuse sans jamais reconnaître s’il s’agissait ou non du fruit, ont alors créé une sorte de courant alternatif, passé instantanément dans les veines, le cœur, les sens et l’imaginaire du photographe belge !

Sans vouloir ici jouer au guide touristique, car l’Art ne s’explique jamais vraiment, nous pouvons toutefois tenir le rôle de l’éclaireur… celui qui illumine le début d’une piste, tout en invitant à la suivre… Laissez-vous donc emmener au cœur d’Orangyork !

Dès qu’on pense à New York, nous reviennent les images du Pont de Brooklyn, celles des gratte-ciel, de milliers de Taxis Jaunes qui se faufilent dans le trafic, au son des sirènes rugissant de tous côtés… Nous voilà soudain au cœur d’une scène de poursuite infernale, dans Highlander… Le rêve, l’écueil des images préconçues… Le vrai défi était là ! Christian Lange a jeté immédiatement un regard de cœur sur New York et des images lui sont revenues par centaines, qui étaient les reflets du regard des autres sur Big Apple, son simple bagage culturel… Et cette prise de conscience fit instantanément naître en lui, comme une sorte de Polaroid, la thématique d’Orangyork et sa différence.

Nous le disions plus haut, il y a du Magritte dans cet artiste-là ! Souvenons-nous de ce que disait le Maître surréaliste : « ceci n’est pas une pipe », parlant d’une de ses toiles les plus célèbres… Eh bien ? C’est là l’occasion de trouver écho à ceci : « Je suis à New York, mais est-ce bien la ville que vous voyez » ?

Et le voyage commença ! Une exploration qui allait mener l’artiste au cœur du cœur des rues de la Cité, écoutant les battements du sien propre et ne tenant compte que de ses instincts, parfois trahis par un écho de l’Empire des sens d’Alicia Keys et des rues dangereuses, des rêves qui deviennent possibles, des femmes au boulot, la poche remplie de rêves, la jungle de béton… dans laquelle, Christian Lange se plonge avec délice et rêverie. Au fil des rues, des stations de métro, des ponts, des lieux si connus de par le monde, Dire Straits se mêle aussi à l’alchimie… et le regard de l’artiste devient orange, jaune, rouge… gris aussi !

Le spectateur remarquera des choses rares en matière d’art photographique : la rigueur qui n’enferme pas, le style qui n’est pas une recette, les codes-couleurs qui ne sont pas des lois, les cadres carrés qui ne sont des cellules ni de prison ni de base de données. Il est des séries cultes qu’on suit avec passion et c’est ce qu’on fait face à Orangyork. On s’y retrouve, on ne s’y perd pas, on garde le fil… ce si précieux fil d’Ariane, tendu entre l’œuvre et l’œil… invisible et pourtant si présent.

Est-ce la fraîcheur ou le pétillant de l’orange ? Est-ce une réminiscence de la bonne humeur du Pop Art ou bien encore l’optimisme et l’ouverture d’esprit qu’on attribue à cette couleur énergique, joyeuse et sécurisante à la fois, qui séduit ? Qu’est-ce qui fait qu’on se sent emporté par cette teinte de soleil entourant parfois un immeuble d’un gris redoutable ou plutôt… redouté, isolé, isolant ? Car en vérité le gris inquiète, nous semble méconnu par sa prétendue non-couleur, son manque de franchise diront même certains… Eh bien, ici le gris est une sorte de signature ! C’est un guide, qui peut mener le spectateur à des signes secrets, quasi cabalistiques et presque invisibles, qui pourtant écrivent l’histoire dans l’histoire… Ce gris n’est ni souris ni poussière, il est net et emmène le voyageur vers des étapes reposantes qu’il découvrira au fil de son expédition, avec parfois l’envie de s’y arrêter un peu.

Le jaune lui, laisse imaginer le soleil au cœur de l’été écrasant, qui porte les échos de Broadway et des clubs… Il mêle les contrastes, comme New York mixe si bien les ethnies, les cultures… Et puis, cette teinte ramène à la puissance de l’égo, si fort à Wall Street… à l’amitié aussi, à la fraternité aux pieds de Times Square, loin des images d’Epinal que véhicule Big Apple dans la culture générale inconsciente du vingt et unième siècle !

Et puis il y a le rouge, qui n’est dans la série ni de sang ni de feu… Le rouge fascine, il est ambigu. Il joue les paradoxes et les passions. On peut lui allier tant de choses : l’amour, le sexe, le danger, le courage, le feu… tout ce que la cité véhicule également dans l’imaginaire collectif !

Finalement, pourquoi faudrait-il expliquer le moyen de transport ? Parce qu’on bouge ? Est-il nécessaire de prévoir les étapes, de prendre le voyageur par la main en lui indiquant les petits secrets qui se cachent par-ci ou par-là au cœur des images, des stations d’un concept presqu’onirique ? Du pays de naissance de l’artiste on retrouve, hormis une folle liberté, les couleurs : noire, jaune et rouge dans un savant désordre, même si le noir s’offre dans l’œuvre une indépendance légère, une façon d’être présent sans être vraiment là. Parlons-nous de surréalisme, de réalisme, de figuratif, de naïf… ou de tout à la fois, du regard libre, du ressenti intense d’n photographe sur une ville des plus mythiques ? De l’identité unique de chaque artiste ? Ne faut-il pas laisser toute obligation ou explication s’envoler, sous un pont ou par la fenêtre d’un gratte-ciel ?

C’est cela ! Orangyork renferme une thématique faite de fenêtres, carrées et ouvertes sur une New York unique : celle de Christian Lange ! C’est le reflet de la façade d’un immeuble immatériel, d’une tour de Babel au sommet de laquelle les images donnent envie de grimper, pour y prendre un grand bol d’air ! Laissons-nous donc porter par le regard de Christian Lange vers des cimes sans vertiges, au cœur d’une ville qui n’a appartenu qu’à lui, le temps d’un voyage ! C’est ce qu’il partage ici en une série d’œuvres où le flou et la netteté ne s’opposent pas mais se complètent, où la technique n’éteint pas l’instinct mais lui donne du souffle… Où chacune et chacun pourra, finalement, suivre ou non le chemin tracé par l’artiste, retrouver le même regard que le sien ou laisser les spectres d’une lentille invisible décomposer tout cela à loisirs et regarder librement, sans crainte et sans pudeur, puisqu’il n’est plus interdit, pour quelques instants privilégiés, de regarder le soleil sous peine de se brûler les yeux !

Christian Lange emmène son spectateur au cœur de sa ville, par des traits flous et délicats dont il lécherait une aquarelle, forts et puissants tels qu’il les imposerait à une toile peinte au couteau, lumineuse comme une aurore boréale, mystérieuse comme le palais d’un conte de fées… Mais un conte est-il un conte ? New York est-elle réellement New York ?

Quoi qu’il en soit, Orangyork est une invitation au voyage… Laissez donc votre regard se baigner d’images et de couleurs. Fermez les yeux et n’ayez pas peur, car c’est vous qui donnerez le signal du départ ! Et si la prochaine étape n’était que le prolongement de tout ceci… un peu comme on attend la suite d’un grand film ? Le rideau s’ouvrira-t-il alors sur un second opus Orangyork ? Oooh, oooh, New York, New York